Au congrès constitutif du MDA, les choses se passent mal entre les membres de la direction. Mohamed Benelhadj et moi, d’un côté, Saad A Larbi, Boukhari S et Mostefa B, de l’autre côté.
Les congressistes avaient voté « démocratiquement » pour un Bureau politique de six ou sept membres et d’un Comité central de plus d’une vingtaine de membres. Ils avaient aussi adopté les résolutions que nous lui avions soumises et le discours d’orientation de Ahmed Ben Bella. Une quinzaine de jours avant la tenue du Congrès, celui-ci avait convoqué une réunion à Genève du Secrétariat politique pour finaliser la préparation de nos assises et prendre connaissance de son discours que nous devions débattre.
Délibérément, étant donné la tension qui avait monté entre nous, Mohamed Benelhadj et moi, nous nous sommes portés pâles à cette réunion. Notre absence avait été très mal reçue par Ahmed Ben Bella qui nous appelle en début d’après-midi pour nous sermonner et exiger que Mohamed Benelhadj et moi prenions le premier train en partance pour Genève dont il nous avait communiqué l’heure. Ben Bella connaissait par cœur les horaires du TGV Paris-Genève.
Je prends contact avec Mohamed Benelhadj qui m’avait appris que le Président venait de l’appeler. Nous nous sommes donnés rendez-vous à la gare de Lyon. Ahmed Ben Bella nous attendait avec beaucoup de fébrilité.
Seul un de ses chauffeurs et de ses gardes du corps, Youssef, nous attendait à la gare de Genève. Habituellement, Ben Bella se déplaçait pour nous accueillir. Youssef nous conduit dans les beaux quartiers de Genève, dans un petit immeuble moderne, bourgeois que nous ne connaissions pas auparavant. L’appartement de deux pièces, très coquet, avait été loué pour la circonstance ou prêté par des amis.
Depuis quelques mois, les réunions n’avaient plus lieu chez Ahmed Ben Bella dont la vie privée et personnelle se retrouvait étalée dans la rue. Sayah T Khiari Wassini notamment, en conflit ouvert avec Ben Bella, n’avait cessé d’écrire sur la famille de ce dernier.
Dans le salon où pénétrons, Ahmed Ben Bella est en compagnie de Mohamed Yadi, son ancien directeur général de la Sûreté nationale [DGSN] qui avait été expulsé de France en 1982 dans l’affaire Montmorency. La mine renfrognée des mauvais jours, il nous passe d’abord un savon après les salutations. Puis nous avions parlé un petit moment de généralités avant d’engager la lecture du « discours d’orientation » qu’il me tend.
Je lis à haute voix plus d’une quarantaine de pages. Nous arrêtions pour discuter, quelques fois âprement, et commenter des passages ou des idées qui nous paraissaient soulever des interrogations, des interprétations voire des ambiguïtés. Des précisions, des atténuations voire des corrections ont été apportées au texte notamment en ce qui concerne les relations extérieures du Parti.
Ahmed Ben Bella avait accepté de modérer le soutien sans réserve qu’il apportait à la Libye de Maamar Kadhafi. A l’instar du pouvoir d’Alger, Tripoli n’était pas un modèle de démocratie et de respect des droits de l’homme. Des centaines de détenus politiques croupissaient dans les prisons et subissaient la torture. Nous ne pouvions laisser passer sous silence le traitement infligé aux opposants libyens à l’intérieur du pays et à l’extérieur comme nous ne pouvions laisser passer sans y apporter des critiques la situation en Iran.
La répression sanguinaire de Khalkhali devait absolument être sévèrement dénoncée d’autant plus que nous défendions la révolution iranienne et soutenions Téhéran dans la guerre que le régime dictatorial de Saddam Hussein lui menait. Mohamed Yadi appuyait, à chaque fois, nos remarques et nos suggestions. Avant de partir, Ahmed Ben Bella me rappelle la discussion que nous avions eu tous les deux dans le grand parc de Madrid à propos de son « discours d’orientation ». « Pas de refus.
Le discours peut encore être amendé, mais il ne peut être rejeté par le Congrès », avait-il insisté. Dans une de nos réunions de préparation du Congrès, j’avais, en effet, proposé de soumettre le « discours » à l’adoption, à l’amendement ou au refus comme l’exige du reste le principe démocratique que nous prétendions vouloir instauré. Branle-bas de combat chez mes adversaires qui en informent Ahmed Ben Bella de ma proposition qu’ils interprètent comme une conspiration. Je suis convoqué à Madrid où il se trouvait.
J’étais vraiment très surpris que Ben Bella prenne, lui aussi, ma proposition comme une félonie, une déloyauté à son égard. J’étais d’autant plus surpris que l’écrasante majorité des militants de notre Mouvement était venue pour lui, pour sa personne et se revendiquait « benbelliste » et qu’il n’y avait aucun risque que son « discours » soit rejeté. Les participants au Congrès étaient prêts à l’adopter avec les deux mains levées.
Ben Bella savait parce que nous en avions parlé ensemble que je ne me réclamais pas de sa personne mais des idées que nous partagions. Jamais, je ne l’aurais rejoint sans notamment cette idée qui nous était commune de construire une démocratie musulmane.
Nous avions d’ailleurs sur cette question de très nombreux et riches débats avec d’anciens Premiers ministres comme Necmettin Erbakan de Turquie, Sadek al Mahdi du Soudan dont le neveu Mostafa a longtemps travaillé avec nous ou Mamadou Dia du Sénégal qui était devenu un ami en même temps que son fils Talha, je le voyais à chacun de ses nombreux voyages à Paris pratiquement jusqu’à son décès. Ces trois personnalités siégeaient au conseil islamique pour l’Europe dont le Secrétaire général était l’Egyptien Salem Azzam et le siège à Londres. Ahmed Ben Bella avait été porté à la présidence de la Commission islamique des droits de l’Homme dans le cadre du Conseil islamique pour l’Europe.
Avant l’affaire Montmorency qui le tint éloigné de France, Ahmed Ben Bella occupait de luxueux bureaux rue Logelbach, dans le 17ème arrondissement de Paris, non loin du Parc Monceau, que Jean-Marie Bressand, président de la Fédération mondiale des villes jumelées lui avait prêtés.
Contraints de déménager, M. Pichon, architecte, membre de la FMVJ, nous procure moyennant loyer, bien sûr, un grand local, rue Tarbé, dans le même arrondissement.
La Commission islamique des droits de l’Homme dont Lounès K. était devenu en remplacement de l’ancien ministre de la Justice de Ben Bella, Mohamed Séghir Hadj Smaïn, que Dieu ait son âme, le Secrétaire général, y avait été installée ainsi que la revue El Badil qu’il dirigeait.
C’est lors de l’assemblée générale constitutive de la Commission islamique des droits de l’Homme qui s’est tenue au Palais des congrès de l’UNESCO que Ahmed Ben Bella et Hocine Aït Ahmed accompagné de André Ali Mécili se retrouvent dix-sept ans après le coup d’Etat du 19 juin 1965. Hocine Aït Ahmed qui avait soutenu une thèse sur les droits de l’Homme en Afrique était invité à cette assemblée par le Conseil islamique pour l’Europe.
Mon engagement auprès de Ben Bella ne participait pas du culte de la personnalité ni de l’ambition personnelle puisque j’y avais plus perdu que gagné, mais reposait sur des convictions qui demeurent que la Démocratie sans l’islam serait, dans nos espaces politiques et culturelles, une ruine de nos valeurs. Je ne rentrais pas, non plus, en opposition au régime algérien avec lui, j’étais déjà dans l’opposition ouverte depuis plusieurs années avant qu’il ne soit lui-même élargi. Je n’étais pas, bien sûr, le seul dans ce cas, Nourredine Dz, Saad A. Larbi, Sayah T. Khiari Wassini notamment, étaient aussi dans l’opposition depuis de nombreuses années, soit dans le Parti de la révolution socialiste [PRS] de Mohamed Boudiaf soit dans le Rassemblement unitaire des révolutionnaires [RUR].
Notre travail sur le « discours d’orientation » ne s’achève que vers deux heures du matin. Ahmed Ben Bella et Mohamed Yadi nous quittent, Mohamed Benelhadj et moi passons la nuit sur place.
Nos retrouvailles dans la matinée avec Ben Bella étaient plus détendues. Nous avions encore discutés de certaines parties du discours et de la préparation du Congrès constitutif du MDA, Mouvement pour la démocratie en Algérie. Mohamed Benelhadj avait pris la responsabilité de l’enregistrement du discours dont s’était chargé Mohamed Bachir, représentant de l’Organisation socialiste des travailleurs [OST], mouvement de Louisa Hanoun. |
7 mai 2012
Mohamed Benelhadj